Le mois dernier, nous avions posté plusieurs articles de découverte de la vieille ville de Strasbourg. Nous continuons notre visite de la capitale alsacienne au quartier impérial allemand, érigé entre 1871 et 1918, alors que l’Alsace était annexée par le Reich allemand.
1871 : le Traité de Francfort modifie les frontières orientales de la France au profit du naissant Empire allemand. La ville de Strasbourg est annexée par la Prusse, au même titre que l’Alsace, Metz et une partie de la Lorraine. L’Allemagne voulut faire de Strasbourg une ville d’influence, symbole de sa puissance. Au bord du Rhin, entre Bâle et Francfort, la ville fut tout naturellement élevée au rang de capitale du Reichsland d’Alsace et de Lorraine. (voir notre article sur l’histoire de Strasbourg)
Dès lors, l’empire allemand décida l’aménagement d’une nouvelle ville (la « Neustadt »), hors des limites de la vieille-ville insulaire. Cette extension planifiée répondait à deux enjeux majeurs : répondre à un besoin croissant de logement de la nouvelle capitale régionale (de nombreux fonctionnaires allemands s’installèrent à Strasbourg), et créer une vitrine du savoir-faire allemand en matière d’urbanisme et d’architecture. Ceci permettait également de gagner à la cause germanique la population locale, française depuis deux siècles. De nombreuses constructions monumentales y furent donc édifiées : la bibliothèque et le Palais Universitaire, la gare, la poste, le Parlement…
L’architecte Conrath travailla à un plan d’urbanisme qui permit de tripler la surface de la ville afin d’absorber les flux d’immigrants allemands. Le quartier est irrigué par de larges avenues rectilignes souvent arborées, influencées par le Paris du baron Haussmann.
Vue de la cathédrale de Strasbourg. Au second plan, une partie du Quartier Impérial © French Moments
De 1871 à 1914, la ville doubla le nombre de ses habitants, les industries se développèrent rapidement et l’activité intellectuelle s’intensifia.
Cette opération exemplaire de « ville nouvelle » n’est pas sans rappeler celle, similaire, mise en œuvre à Metz par l’empereur allemand.
Aujourd’hui, les noms des places, des boulevards, des avenues et des palais partagent des consonances très républicaines à la française : place de la République, avenue de la Marseillaise ou de la Liberté, boulevard de la Victoire… toutefois, lors de leur aménagement, ils portaient des noms bien allemands, à la gloire de la patrie allemande.
Au début des années 1880, le style architectural des bâtiments fut éclectique. La mode était à la combinaison de plusieurs styles d’architectures : Roman, Gothique, Renaissance, Classique et Baroque). Avec la montée en puissance de l’Art Nouveau en Europe, le style des nouveaux bâtiments épousa le Jugendstil, sa version germanique, caractérisé par l’utilisation abondante de motifs floraux.
Le plan de l’architecte strasbourgeois Geoffroy Conrath fut remis en 1879 et les travaux inclurent des bâtiments de prestige, représentatifs du pouvoir autour de la Place Impériale (Kaiserplatz), ainsi que de nombreux bâtiments publics qui deviendront des édifices iconiques de la ville.
La Place de la République (Kaiserplatz)
Ce vaste square comprenant un vaste carré en son centre est bordé par des édifices prestigieux qui comptent au nombre des plus beaux de l’architecture wilhelmienne. Au centre des jardins, au milieu des magnolias, se tient le poignant monument aux morts sculpté par Drivier en 1936, représentant une mère (l’Alsace) tenant ses enfants morts au combat – l’un mort pour la France, l’autre pour l’Allemagne.
Le Palais de l’Empereur (Kaiserpalast) – aujourd’hui « Palais du Rhin »
Bordant majestueusement la Place de la République, il s’agit certainement du bâtiment le plus emblématique de la Neustadt avec son imposante coupole. Il fut construit par Hermann Eggert entre 1883 et 1888 dans un style néo-Renaissance qui voulut en faire une vitrine de l’implantation définitive de la présence allemande à Strasbourg. A sa vue, l’empereur Guillaume 1er n’eut qu’une réaction : « éléphantesque » !
L’empereur n’eut pas le temps d’y séjourner, sa mort intervenant peu de temps avant son achèvement. Ce fut donc son petit-fils, Guillaume II qui en fit sa résidence officielle lors de ses séjours à Strasbourg. Guillaume II y viendra plus d’une dizaine de fois jusqu’en 1914.
Aujourd’hui, le Palais abrite la Commission centrale pour la navigation du Rhin et la Direction régionale des Affaires culturelles (DRAC).
Le bâtiment de la Délégation du territoire d’Empire (Landesausschuss) – aujourd’hui « Théâtre national de Strasbourg »
Le bâtiment de la Délégation du territoire d’Empire (Landesausschuss) – aujourd’hui « Théâtre national de Strasbourg » © French Moments
Il fut construit entre 1888 et 1899 dans un style néo-classique pour accueillir la Délégation du territoire d’Empire, une assemblée qui avait une fonction consultative pour le budget et la législation (qui eux étaient votés à Berlin).
il devint le Parlement du Reichsland d’Alsace-Lorraine en 1911. Après la Première Guerre mondiale, il abrita le conservatoire de musique de Strasbourg. Rattaché depuis 1972 au Ministère de la culture, il est le premier théâtre national implanté en province.
La Bibliothèque universitaire (Kaiserliche Universitäts- und Landesbibliothek zu Strassburg)
La Bibliothèque universitaire (Kaiserliche Universitäts- und Landesbibliothek zu Strassburg) © French Moments
Le prestigieux bâtiment de style néo-Renaissance italienne intégra officiellement la bibliothèque impériale le 29 novembre 1895. Plusieurs bibliothèques allemandes confièrent à celle de Strasbourg des ouvrages qui seront plus tard anéantis par les bombardements alliés de la Seconde Guerre Mondiale : Königsberg (40 000 doubles précieux), Göttingen, Munich, Dresde, Heilbronn ou bien Schweinfurt. L’empereur Guillaume Ier offrit lui-même 4 000 volumes de sa collection personnelle. En 1875, on comptait 2 750 donateurs et, en 1879, la bibliothèque possédait 386 073 volumes devenant la quatrième bibliothèque d’Allemagne.
A l’aube de la Seconde Guerre mondiale, la grande majorité des collections fut déplacée dans divers lieux de stockage en Alsace et autour de Clermont-Ferrand (Auvergne).
On évalue les collections de la bibliothèque à plus de 3 millions de documents, dont un grand nombre de documents en langue allemande, situation exceptionnelle en France. Avec la bibliothèque de Lyon, elle fait partie des plus grandes de province.
Le Palais Universitaire (Kaiser-Wilhelms-Universität Strassburg)
Parmi tous les bâtiments édifiés en 1884 par Otto Warth, un architecte de Karlshuhe, le Palais Universitaire est certainement celui qui est le plus harmonieux. Il ferme avec grandeur la belle perspective de l’Avenue de la Liberté qui part du Palais du Rhin. Sa façade en grès jaune, inspirée des palais génois de la Renaissance italienne, est ponctuée de colonnes et de statues de grands hommes (Kant, Leibniz) et comprend un vaste escalier d’entrée.
Le rayonnement de l’université de Strasbourg en Allemagne attira nombre d’éminents professeurs dans ses murs.
Le Palais accueille aujourd’hui encore certaines filières universitaires (histoire et histoire de l’art).
Eglise Saint-Paul (Paulskirche)
L’église se dresse sur un promontoire de l’Ill divisée en deux, au bord du Pont de l’Université. L’édifice néo-Gothique fut réalisé par l’architecte Louis Müller entre 1889 et 1897 qui s’inspira de l’église Sainte Elisabeth à Marburg (Allemagne).
Elle domine, telle une cathédrale gothique, tout le quartier impérial de ses deux flèches jumelles effilées d’une hauteur de 76 mètres. Sa nef peut accueillir près de 3000 fidèles.
Elle fut destinée à la garnison allemande de religion protestante stationnée à Strasbourg entre 1871 et la Grande Guerre. Depuis 1918, l’église est consacrée au culte Protestant réformé.
La gare ferroviaire
A l’instar de celle de Metz, la gare ferroviaire de Strasbourg fut érigée par les autorités allemandes et servit les intérêts militaires du IIe Reich. On décida sa construction sur le terrain vierge des anciennes fortifications de Vauban. Inaugurée en 1883, la gare de l’architecte berlinois Johann Eduard Jacobsthal fut une étape importante pour les grands axes internationaux Paris-Vienne et Bâle-Cologne.
Ses proportions sont gigantesques pour l’époque : une façade inspirée (librement) de la Renaissance longue de 128 mètres, à deux étages (le rez-de-chaussée se situant sur la vaste place en hémicycle – et l’étage supérieur au niveau des quais), un hall d’accueil et d’arrivée, des quais longs de 300 mètres.
Deux vitraux à la gloire de l’Allemagne et célébrant l’union de l’Alsace à l’empire (Barberousse à Haguenau et Guillaume 1er à Strasbourg) décoraient le hall central jusqu’en 1918.
La gare fut récemment rénovée en profondeur en vue de l’arrivée du TGV Est Européen en juin 2007, avec notamment la mise en place d’une immense verrière couvrant l’ensemble de la façade. Lors de l’ouverture de la ligne à grande vitesse entre Strasbourg et la Lorraine à l’horizon 2020, Paris ne sera plus qu’à 1h50 de la capitale alsacienne.
Un classement du quartier à l’UNESCO ?
Le 25 janvier 2010, le Conseil Municipal de Strasbourg lança une consultation en vue de la reconnaissance patrimoniale de la Neustadt par l’UNESCO, en complément de la Grande Ile (Vieille ville) auparavant classée en 1988. Cette demande d’inscription risque fort d’être en confrontation avec celle du quartier impérial allemand de Metz, déposée quelques années plus tôt.
Retrouvez nos pages sur Strasbourg en cliquant ici.
Vous pouvez aussi lire cette page en anglais sur notre site Internet ici.
Ping : Visite guidée de la vieille ville de Strasbourg – 3e partie | French Moments Blog