La semaine dernière, nos trois groupes de conversation française à Mosman ont traité le thème des produits bio en France. C’était passionnant d’en parler avec des Australiens et de constater les différentes approches des participants.
Il s’avère que beaucoup de nos étudiants consomment des produits bio qu’ils achètent dans des marchés spécialisés dans le North Shore de Sydney, et très rarement dans les grandes surfaces. Mais l’enquête du magazine Capital que nous avons lue en a étonné plus d’un !
Paru dans le mensuel d’avril 2011, l’enquête sur le marché des produits bio en France a semé le doute quant à leur rapport qualité-prix dans les hypermarchés français. L’enquête était illustrée par l’exemple de la production à grande échelle de « fraises biologiques » en Espagne et leur acheminement en France. Le journaliste évoquait ainsi un paradoxe incroyable et scandaleux : après analyse, ces fraises bio paraissaient bien peu écolos : premièrement, leur culture épuise les sols et deuxièmement, le convoyage de ces produits par la route à destination des grandes surface en France affiche un bilan carbone catastrophique.
La grande question était de savoir si les grandes surfaces en Nouvelle-Galles-du-Sud employaient les mêmes méthodes pour fournir aux consommateurs leurs produits bio. Là, les avis divergeaient, faute d’en savoir plus sur le marché local à Sydney… Peut-être existe-t-il déjà une enquête australienne sur le sujet.
Voici des extraits de l’enquête de Capital que vous retrouverez en intégral sur le site Internet du magazine en cliquant ici.
La grande distribution, profitant de l’engouement croissant pour les produits verts, abuse : les prix de vente, très élevés, ne sont pas toujours justifiés par les coûts de production. Démonstration.
Quelque part en Espagne entre Séville et la frontière du Portugal, les serres de Flor de Doñana s’étendent sur 40 hectares. A l’intérieur, les fraisiers sont irrigués par un goutte-à-goutte et nourris de fertilisants venus des Pays-Bas ou de France.
Ils produisent des fruits zéro défaut qui seront acheminés vers les hypermarchés de l’Europe entière. De telles cultures intensives, la région en compte à perte de vue : 95% des fraises espagnoles sont cultivées ici. Mais celles de Flor de Doñana ont une particularité : elles sont bio…
Ici, on fait surtout ce qu’il faut pour satisfaire Carrefour et Auchan, les deux principaux clients : il s’agit d’honorer les volumes, la régularité et les prix voulus. Car la grande distribution, qui assure environ 60% des ventes de fruits et légumes bio en France, est aussi exigeante avec ses fournisseurs verts qu’avec les autres. Et, pour cela, elle ne compte pas sur de petits maraîchers, mais sur ce genre de professionnels du business bio, principalement en Espagne, en Italie et au Maroc.
Dès lors, le consommateur est en droit de s’interroger, au moment de payer son concombre deux fois plus cher que la variété classique, ou encore ses courgettes (+ 84%) et ses tomates (+ 69%) : ces prix dopés s’expliquent-ils vraiment par les contraintes de la culture écologiquement correcte ?
Eh bien, il n’a pas tort de douter, le consommateur. Car, dans ce même hyper, nous avons retrouvé nos fraises andalouses et pu reconstituer l’élaboration de leur prix. A la sortie des serres de Flor de Doñana, les acheteurs de la grande distribution les ont payées bien plus cher qu’une variété conventionnelle : 5 euros le kilo au lieu de 3. Les charges salariales y sont plus élevées, souligne-t-on.
Admettons, quoique, dans son cas, les fameuses charges de personnel soient incarnées par une centaine de saisonnières roumaines, bulgares et polonaises, ni plus formées ni mieux payées que dans l’agriculture conventionnelle. Mais alors pourquoi, arrivées à Paris, ses fraises valent-elles 11,96 euros le kilo, soit, cette fois, 100% de plus que le fruit classique ? Sachant que le coût de transport est le même, aucun expert de ces filières n’a su nous dire ce qui justifiait la progression de l’écart de prix…
« Il y a un vrai manque de transparence des prix du bio », confirme Cécile Lepers, déléguée générale de Synabio, un syndicat qui regroupe producteurs et transformateurs de la filière en France. Toutes les enquêtes montrent en effet que les consommateurs acceptent aveuglément le surcoût du garanti sans pesticides. Et le moins que l’on puisse dire est qu’ils sont exaucés.
Toutes catégories confondues, les produits sont en général 30 à 40% plus chers, selon Céline Laisney, du Centre d’études et de prospective du ministère de l’Agriculture. Et l’écart se creuse dans les rayons des hypers : selon une enquête réalisée l’an dernier par l’UFC-Que choisir, qui a relevé 120 000 prix dans 1 795 magasins, un panier d’articles bio vendus sous marques de distributeurs (MDD) valait 57% de plus que l’équivalent en MDD classiques !
Retournons en Espagne : « De plus en plus souvent, nos fruits et légumes bio partent au même prix, voire pour un tarif inférieur », assure Dios García González, contrôleur au sein de l’organisme de certification bio espagnol, le CAAE, dans la province de Malaga.
A mesure que la saison avance, en effet, les acheteurs de la grande distribution ont le choix entre un nombre croissant de vendeurs, qui sont parfois une quarantaine à se battre pour fournir les enseignes françaises. « A ce stade, tomates ou concombres bio leur coûtent moins cher que les légumes classiques », poursuit notre certificateur. Début mars, ce n’était pas encore le cas de nos fraises Flor de Doñana, produites de novembre à juin. Mais cela ne devrait pas tarder…
En France, les producteurs bio échappent largement à la pression de la grande distribution, mais c’est un effet de leur rareté : malgré une progression proche de 30% l’an dernier selon l’Agence BIO, qui recense près de 20 000 exploitations, ils ne représentent que 2% de nos terres agricoles (ce qui nous classe en queue du peloton européen) et traitent essentiellement avec les réseaux de boutiques spécialisées (Biocoop, Naturalia…).
Celles-ci représentent 26% des ventes de fruits et légumes « naturels ». Les hypers, eux, se fournissent presque exclusivement à l’étranger auprès d’un bio business bien peu écolo, qui épuise les sols avec ses monocultures et affiche un bilan carbone catastrophique en faisant voyager ses produits dans le monde entier.
Cette véritable arnaque commence heureusement à devenir un peu trop voyante. Au point que Frédéric Lefebvre, du ministère du Commerce, a aussitôt demandé à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes d’enquêter sur « la formation des prix et des marges dans le secteur des produits bio ». La DGCCRF a déjà fort à faire pour débusquer de nombreux cas de faux bio. Elle en a par exemple trouvé dans les cagettes de producteurs chinois qui exportaient chez nous, sous label vert, leurs baies de goji assaisonnées de pesticides.
Et, quand ce n’est pas la fraude pure et simple, c’est le non-respect des normes qui menace le consommateur. Comme avec ces 100 tonnes de fruits rouges arrivant de Serbie qui ont dû être retirées du marché en 2009, des analyses ayant révélé des traces de pesticides, probablement dues à une contamination lors du transport et du stockage.
N’allez pas croire ce genre d’incident rarissime : « C’est au contraire un grand classique, explique Jean-Pierre Bonhomme, le directeur du laboratoire d’analyses Cereco, qui travaille notamment pour la grande distribution. Dans 8 à 10% des lots de produits bio contrôlés avant leur mise en rayon, on trouve des résidus de produits phytosanitaires interdits dans leur production. » Et les cas les plus « folkloriques », selon le mot de cet homme de l’art, sont repérés dans les arrivages italiens et espagnols…
Source : Patrick Chabert et Philippe Baqué pour Capital avril 2011.