Cet article a été écrit dans le cadre de notre cours intensif de français à Noosa (Australie). Le thème conducteur de semaine porte sur “les vacances à la mer” en France. L’article ci-dessous a été étudié par les participants ce lundi 16 septembre.
En 1936, « Voir la mer » devient enfin un rêve accessible pour une majorité d’ouvriers et d’employés français. Réservées à une petite partie de la population, les vacances coûtaient trop cher pour que tout le monde en profite. Les ouvriers avaient déjà tout juste assez dʼargent pour vivre, les privant ainsi de toute possibilité de profiter de quelques jours de repos. Moins de 5% des Français partaient alors en vacances.
En 1936, la gauche se rassemble dans un grand mouvement politique pour les élections législatives : le Front Populaire. Ce rassemblement propose de réagir face à la montée du fascisme qui touche lʼEurope dans les années 1930. Le mouvement « Front populaire », qui désigne lʼunion des forces de gauche, est alors créé. Ce rassemblement, avec comme meneur Léon Blum, remporte les élections législatives le 4 juin 1936. La France est alors touchée par une grande vague de grèves. En effet, voyant que leurs revendications pouvaient être écoutées, les ouvriers lancent un mouvement dʼune ampleur sans précédent : il touche environ 12 000 établissements et implique 2 millions de travailleurs ! Ces grèves, paralysant tout le pays, aboutirent tout d’abord aux Accords de Matignon, puis à la création des congés payés. Dans la nuit du 7 au 8 juin, à l’hôtel Matignon à Paris, sont signés les accords entre le nouveau président du Conseil, Léon Blum, et les syndicats. Ils prévoient une augmentation de 12% des salaires mais on retiendra surtout l’instauration de la semaine de 40 heures et l’octroi de 15 jours de congés payés. Cʼest lʼévénement déclencheur des « vacances pour tous ». Ce sont ainsi près de 600 000 personnes qui partent dès 1936 (parfois ils ne font quʼun rapide aller-retour pour voir la mer), et 900 000 en 1937, ce qui montre la démocratisation rapide des vacances. Tout le monde part en même temps, et beaucoup au même endroit ; un tiers des vacanciers partent en Méditerranée. Très rapidement, Saint-Tropez devient la destination de vacances à la mode.
Ainsi, 1936 marque lʼavènement des congés payés en France et lʼémergence dʼune nouvelle génération de vacanciers. Lʼessor du chemin de fer et de lʼautomobile permettra lʼamorce du développement du tourisme de masse. En fait, 1936 n’est pas l’invention des congés payés (les fonctionnaires en bénéficiaient depuis le Second Empire) mais leur généralisation à tous les salariés. Destinés à améliorer les conditions de vie de la classe ouvrière et à permettre lʼaccès des masses populaires à la culture, au tourisme et de manière générale aux loisirs, les congés payés ne concernaient pas encore les indépendants, c’est-à-dire les paysans et les artisans… Ainsi, contrairement aux images que l’on a en tête, en 1936, ce nʼest pas les vacances pour tous. Et, quand les classes populaires partaient, elles nʼallaient pas très loin et pour pas très longtemps. Par exemple, les ouvriers effectuaient un retour rapide dans leur famille. S’ils allaient au bord de mer, c’est qu’ils habitaient à proximité. Ceux qui voyageaient, pratiquaient un tourisme culturel ; ils étaient attentifs aux traditions, au folklore, au paysage. Ce sont les pionniers d’un tourisme responsable vis-à-vis du patrimoine. Les plus jeunes – ou les plus courageux – n’hésitaient cependant pas à enfourcher vélos et tandems pour aller planter leur tente de camping sur les bords d’une rivière, se faire héberger par la famille à la campagne ou s’offrir une pension complète dans une modeste auberge.
Faute de moyens, les bords de la Marne restent nettement plus fréquentés que les plages et en 1936, seulement 560 000 Français ont profité du billet SNCF à prix réduit. Pour les classes populaires, les vacances représentaient surtout un capital de temps libre supplémentaire utilisé conformément à ce que chacun faisait déjà : pêche, jardinage, pétanque… Les vacances ne font que dilater les loisirs. Néanmoins, la tendance sera irréversible : les vacances, mais aussi les voyages, s’instaurent comme un nouvel art de vivre. Pour la première fois, sur les plages se côtoient des mondes sociaux jusque-là séparés. Longtemps les loisirs et les départs en vacances sont en effet restés lʼapanage des aristocrates : séjours dans les villes dʼeau, voyages en Orient ou vacances en famille dans les belles demeures de Normandie. Ce début de siècle était aussi le temps des pionniers de lʼexcursion en montagne et des aventuriers. Les côtes normandes sont envahies par une nouvelle clientèle en casquette, sortant le casse-croûte et la chopine de la musette pour le pique-nique en famille. Une fête bruyante et colorée loin d’être au goût des riches habitués, qui ferment alors leurs belles villas pour partir vers des destinations plus lointaines. « Pour les aristocrates et les bourgeois, accoutumés à vivre entre eux, le débarquement des ouvriers a été difficile à vivre », souligne Stéphane Hessel*.
Malgré tout, les congés payés vont changer la vie de millions de personnes et aller à la plage en juillet et août est maintenant une activité quasi-naturelle. « Merci Monsieur Blum », disait lʼune des cartes postales écrites par un Français au président du Conseil au cours de lʼété 1936.
*Stéphane Hessel (1917-2013) : diplomate, ambassadeur, résistant et écrivain né en Allemagne et naturalisé français en 1937. Il est lʼauteur du manifeste « Indignez-vous ! » en 2010.
Super article. Cela m’a permis de connaître beaucoup de choses intéressantes. Merci
Christian – Webmarketing Consultant
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